La peinture d’Ansy Dérose: Un éternel retour à l’enfance
La famille du musicien et compositeur Ansy Dérose a pu, durant ces derniers temps, réunir plus de quatre-vingt toiles réalisées par l’artiste, pendant la période allant de 1956 à 1997. Certains spécialistes du milieu de la peinture haïtienne, invités à approcher l’ensemble de la production picturale d’Ansy Dérose, n’en croient pas leurs yeux.
D’autres personnes à qui l’on tente de faire croire entretemps que le chanteur était aussi un peintre très doué, ne cachent pas pour ainsi dire leur étonnement. Voire, dans certains cas, leur scepticisme. Qui parlent de miracle, de découverte, qui n’hésitent pas à exprimer leurs petites réserves et se mettre à fourbir, au besoin, leurs armes critiques… «destructives »? D’autres, en fin de compte, déjà accoutumés à la voix et à la musique d’Ansy Dérose, ou encore aux charmes du chanteur célèbre depuis les années 70, tant en Haïti qu’à l’étranger, seraient de préférence, nostalgie oblige, absolument enclins, pour leur part, à se lancer dans une appréciation béate, pour ne pas dire dans une véritable contemplation des peintures de Dérose. Rien que pour le plaisir d’aller à la découverte de cette autre facette du talent de l’artiste adulé.
Ansy Dérose a bel et bien été sensible, en effet, à la couleur, aux lignes, aux formes, aux volumes, au mouvement… bref, au travail de la main dans la création artistique. Il a été tout aussi bien sensible aux valeurs plastiques de l’art, après l’avoir été aux valeurs de la mélodie, des sons purs, du rythme musical, et des paroles qui invitent sans cesse au collectif. Toujours avec cet accent qui nie la grivoiserie et qui embrasse à travers les textes un type d’engagement et de moralité :
«Merci pour cette mélodie
Que tu m’inspires pour nous deux
Et ce cortège de couleurs
Qui dansent devant moi
Quand tu es dans mon lit.
Merci pour ton corps de vingt ans
Qui vibre avec mon corps,
Ce grand brasier d’amour…»
Un texte toujours fluide où le message est roi, où chaque parcelle de nous-mêmes est remise en question non sans une étrange mélancolie :
«L’Amour! C’est pour moi autre chose
Qu’un corps qui s’enivre d’un corps
La Paix, c’est encore autre chose
Bien plus que d’aller sur la lune…»
Etrange est donc cette terrible déchirure qui nous ravage, suite aux constats faits par l’artiste et par celles/ceux qui chantent avec lui, que l’existence humaine gémit parfois comme un poème, un mystère, lovée dans sa plaie ouverte qu’elle traîne de jour et de nuit en marge du sang:
«Je suis souvent blessé,
Je ne crains pas le glaive
J’ai vu couler mon sang…»
Ce refrain qui charrie toute la tristesse du sol dans notre âme consciente et fragile, en dit long de cette condition humaine affreuse, comme si la terre entière, avec ses joies et ses tristesses, prenait corps au fond de nous et nous libérait de nos vertiges:
«Le soir venu sur ma guitare,
Je rends mon âme et ma journée
Journée de sueur et de poussière
Sous le soleil et dans les fers
Mais malgré tout je n’ai le droit
Ni d’aimer, ni d’être aimé…»
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